Le syndrome du gisant : quand la mémoire des morts façonne la vie des descendants

« Ce que les parents taisent, les enfants le répètent. » Anne Ancelin Schützenberger
Quand le corps porte la trace des absents
Certaines douleurs semblent venir de nulle part. Une tristesse ancienne, un mal de vivre silencieux, une impression de porter un poids qui ne nous appartient pas. Et si ces ressentis étaient les échos d’une histoire familiale oubliée ? Le Dr Salomon Sellam a nommé ce phénomène : le syndrome du gisant.
C’est l’hypothèse que, dans certaines familles, un enfant puisse être investi, à son insu, du rôle de représentant d’un mort précoce ou occulté. Cette appartenance inconsciente peut modeler l’identité, les symptômes, les choix de vie. Non pas par fatalité, mais par loyauté invisible.
1. Qu’est-ce que le syndrome du gisant ?
Le mot « gisant » désigne, en art funéraire, la représentation d’un défunt allongé. Symboliquement, le syndrome du gisant désigne la situation d’un enfant qui, sans le savoir, « remplace » un membre de la famille décédé :
- frère ou sœur mort(e), fausse couche, IVG, jumeau disparu,
- grand-parent mort jeune, dont on ne parle jamais,
- deuil non fait ou secret lourdement gardé.
L’enfant peut alors porter une tristesse sourde, une sensation d’être à côté de sa vie, ou une « mission de réparation » jamais nommée.
Peut se manifester par :
- une vie ralentie, sensation d’inertie
- une dépression sans cause visible
- des attirances morbides ou une peur irrationnelle de mourir jeune
- un hyper-altruisme, comme si on n’avait pas droit à sa propre vie
Les manifestations peuvent être variées :
- impression de ne pas être pleinement vivant(e),
- fatigue chronique, ralentissement psychique,
- anxiété de mort irrationnelle,
- culpabilité d’être en vie ou de prendre sa place.
2. Origines et logiques symboliques
Ce syndrome s’inscrit dans les théories des loyautés familiales invisibles (Anne Ancelin Schützenberger) et des fantômes transgénérationnels (Bruno Clavier). Il survient souvent :
- quand un mort n’a pas reçu de place symbolique dans l’arbre familial,
- quand le deuil a été réprimé, caché, ou nié,
- quand l’enfant porte un prénom, une date, ou un destin semblable au disparu.
Liens avec la mémoire cellulaire
Le corps ne ment pas. Il enregistre ce qui a été refoulé, ce qui n’a pas pu être dit. Dans la mémoire cellulaire, on observe souvent chez les personnes concernées :
- un corps figé ou ralenti,
- des points de tension inexpliqués,
- une hypersensibilité au silence, à la mort, à la solitude,
- une dissociation légère, comme si le corps était « absent de lui-même ».
3. Comment le repérer ?
Certaines questions peuvent orienter l’exploration :
- Y a-t-il eu un enfant mort avant vous dans la fratrie ou dans la génération précédente ?
- L’un de vos prénoms ressemble-t-il à celui d’un défunt ?
- Vous sentez-vous parfois en « trop » ou comme si vous ne deviez pas être là ?
- Votre génosociogramme comporte-t-il des absents ou des dates miroir ?
Un questionnaire de repérage est disponible ici en téléchargement.
4. Chemins de libération
La sortie de ce schéma passe par plusieurs étapes :
- Reconnaître le disparu et sa place dans l’arbre familial.
- Symboliser : écrire son nom, allumer une bougie, planter un arbre.
- Redonner à chacun son destin : « Je te laisse ta place. Je prends la mienne. »
- Travail corporel :
- descente dans le corps
- exploration des tensions
- respiration consciente et visualisation de séparation
- Accompagnement en mémoire cellulaire : Voir – Accepter – Transformer.
Conclusion
Le syndrome du gisant nous rappelle que certains silences peuvent peser plus lourd que des mots. Mais il nous invite aussi à retrouver notre élan vital, à honorer les morts sans leur être fidèles au point de nous oublier.
Il n’y a pas de fatalité : simplement des histoires à regarder, des places à rendre, et une vie à habiter pleinement.
Ressources
- Salomon Sellam, Le Syndrome du Gisant (Souffle d’Or)
- Bruno Clavier, Les Fantômes familiaux
- Anne Ancelin Schützenberger, Aïe, mes aïeux !
Téléchargez le questionnaire de repérage du syndrome du gisant
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