Psychogénéalogie & trauma transgénérationnel : que dit la science aujourd’hui ?
Cet article est le second sur la psychogénéalogie. Pour lire le premier, c’est ICI.

1. Psychogénéalogie : de quoi parle-t-on ?
La psychogénéalogie, popularisée par Anne Ancelin Schützenberger et prolongée par Didier Dumas, Bruno Clavier, Robert Neuburger et d’autres, explore les récits familiaux, les non‑dits, les loyautés invisibles, et leurs résonances somato‑émotionnelles. Dans mon approche, j’articule :
- le génosociogramme (arbre élargi, dates, événements charnières),
- les cycles biologiques cellulaires mémorisés (CBCM), proposés par Marc Fréchet et longuement expérimentés par Myriam Brousse (dans le champ de la mémoire cellulaire),
- l’écoute du corps (descente, respiration, ancrage),
- le projet‑sens (les 18 mois qui précèdent et incluent la naissance),
- et la méthode Voir – Accepter – Transformer.
Repère clé : intergénérationnel ≠ transgénérationnel. Le premier désigne l’impact d’une grossesse vécue sous stress (exposition in utero) ; le second implique une transmission au‑delà de l’enfant exposé (petits‑enfants et plus) et reste controversé chez l’humain.
2. Comprendre le trauma transgénérationnel
Une empreinte émotionnelle, pas seulement un souvenir
Un trauma transgénérationnel, c’est une blessure émotionnelle ou psychique vécue par une génération et transmise, souvent inconsciemment, aux suivantes. Contrairement à un simple souvenir, il agit comme une empreinte dans le corps et le système nerveux : il influence la manière dont nous réagissons au stress, nos relations, voire nos choix de vie.
Ces transmissions ne passent pas seulement par les mots : elles s’impriment dans les non-dits, les silences familiaux, les attitudes et les schémas comportementaux.
3. Ce que montrent les études—sans extrapoler
Cohortes humaines emblématiques
- Famine hollandaise 1944–45 : chez des adultes exposés in utero, on observe des différences persistantes de méthylation sur des gènes impliqués dans la croissance et le métabolisme (par ex. IGF2).
- Descendants de survivants de l’Holocauste : des différences de méthylation sont décrites sur des gènes de la régulation du stress (par ex. FKBP5), avec parfois des directions d’effet opposées entre la génération exposée et leurs enfants.
- Québec, tempête de verglas 1998 (Project Ice Storm) : l’intensité objective du stress prénatal est associée à des signatures de méthylation et à des trajectoires de santé (immunité, adiposité) à l’adolescence.
- Rwanda : des travaux récents suggèrent des indices d’accélération épigénétique de l’âge chez des jeunes adultes exposés in utero au génocide contre les Tutsi.
Modèles animaux (pistes mécanistiques)
- Conditionnement olfactif (souris) : la crainte apprise d’une odeur spécifique chez la génération parentale s’accompagne, chez F1–F2, d’une sensibilité accrue à cette odeur et de signatures moléculaires associées.
- Stress paternel & ARN du sperme : des stress précoces modifient des microARN/small RNAs dans les gamètes ; l’injection de ces ARN dans des ovocytes peut reproduire certains phénotypes chez la descendance.
Nuance essentielle : corrélation n’est pas causalité. Les marques épigénétiques sont des indices—elles n’écrivent pas le destin. L’épigénome est plastique et sensible à l’attachement, au contexte relationnel, au sommeil, à l’activité physique, à la psychothérapie.
4. Ce que la science ne dit pas
- La transmission transgénérationnelle humaine au‑delà de l’exposition in utero reste débattue ; une large part des marques est réinitialisée à chaque génération.
- Les effets observés sont variables, parfois réversibles et contextuels.
- Les récits de famille et la mise en sens n’annulent pas le besoin de soins médicaux/psy lorsqu’ils sont nécessaires.
5. Comment j’intègre ces connaissances en séance ?
- Voir : enquête douce et structurée (projet‑sens, génosociogramme, dates, événements, exils, deuils, tabous…).
- Accepter : accueillir émotions, loyautés, mécanismes d’adaptation ; restaurer sécurité d’attachement dans la relation thérapeutique…
- Transformer : travail somato‑émotionnel (descente dans le corps, respiration), rituels de réparation sobres et personnalisés ; parfois, co‑construction de gestes symboliques familiaux…
Éthique : jamais d’injonction, ni d’ésotérisme. On avance au rythme du corps. Si c’est trop, on suspend.
6. Conclusion : devenir artisan de sa lignée
Nos histoires familiales ne sont pas des fatalités, mais des récits à écouter et à transformer. Comprendre et libérer les traumas transgénérationnels, c’est offrir une nouvelle respiration à nos ancêtres et un souffle de liberté aux générations futures.
Le corps, témoin fidèle de ces mémoires, peut devenir un allié puissant : il nous guide vers une réconciliation profonde avec notre histoire.
6. FAQ
La psychogénéalogie est‑elle « prouvée » par l’épigénétique ?
Non. L’épigénétique apporte des indices sur l’impact des stress prénataux et de certaines expositions majeures. Mais la preuve d’une transmission transgénérationnelle systématique chez l’humain n’existe pas à ce jour.
Suis‑je condamné·e si l’on retrouve une histoire familiale lourde ?
Non. La biologie est plastique. Les relations sécures, le soin du corps, la mise en récit et les thérapies de soutien peuvent moduler les trajectoires.
Qu’est‑ce que le projet‑sens ?
C’est l’exploration des 18 mois qui précèdent et incluent la naissance : climat émotionnel, places familiales, sens donné (ou non) à l’arrivée de l’enfant.
Les rituels ont‑ils « un pouvoir » ?
Ils n’ont pas à « prouver » quoi que ce soit ; ils aident le corps et la psyché à symboliser et à retrouver du choix.
7. Repères historiques : figures majeures de la psychogénéalogie
- Nicolas Abraham (1919–1975) & Maria Török (1925–1998) : psychanalystes à l’origine des notions de crypte(secret inavouable non métabolisé) et de fantôme transgénérationnel (manifestation psychique d’un secret dans la descendance).
- Anne Ancelin Schützenberger (1919–2018) : psychologue et psychothérapeute, créatrice du génosociogrammeet du concept de syndrome anniversaire. Son livre Aïe, mes aïeux a rendu la psychogénéalogie accessible au grand public.
- Ivan Boszormenyi-Nagy (1920–2007) : pionnier de la thérapie familiale, il a développé la notion de loyautés invisibles et de dettes intergénérationnelles.
- Bert Hellinger (1925–2019) : créateur des constellations familiales, pratiques pour rendre visibles les intrications inconscientes dans les systèmes familiaux.
- Alejandro Jodorowsky (1929– ) : artiste et thérapeute, inventeur de la psychomagie, qui utilise des actes symboliques pour dénouer des blocages inconscients.
- Robert Neuburger (1939– ) : psychiatre, psychanalyste, il a travaillé sur les mythes familiaux et la transmission inconsciente des valeurs et croyances au sein des lignées.
- Didier Dumas (1943–2010) : psychanalyste, pionnier français de l’approche transgénérationnelle, il a montré la transmission inconsciente des structures parentales dans la petite enfance.
- Vincent de Gaulejac (1946– ) : sociologue, il a articulé psychogénéalogie et histoire sociale, explorant notamment la honte, la haine de classe et les secrets familiaux.
- Marc Fréchet (1947–1998) : créateur des Cycles Biologiques Cellulaires Mémorisés (CBCM) et du projet-sens (les 18 mois qui précèdent et incluent la naissance). Ses travaux relient psychisme, biologie et histoire familiale.
- Serge Tisseron (1948– ) : psychiatre et psychanalyste, il a prolongé les travaux d’Abraham et Török sur les secrets et leur transmission inconsciente.
- Salomon Sellam (1955– ) : médecin français, connu pour le syndrome du gisant, lié aux deuils impossibles et aux « réparations inconscientes ».
- Antonio Bertoli (1957–2015) : fondateur de la Psycho-Bio-Généalogie, centrée sur les archétypes primaires et l’équilibre masculin/féminin.
- Myriam Brousse (†2024) : thérapeute, pionnière de la mémoire cellulaire. Elle a montré comment le corps conserve l’empreinte des mémoires inconscientes et a fondé une école dédiée. Ses ouvrages (Votre corps a une mémoire, La descente dans le corps) ont ouvert une voie spécifique, distincte mais en dialogue avec la psychogénéalogie.
Focus sur Didier Dumas :
Pour le psychanalyste Didier Dumas, la construction mentale de l’être humain n’est pas individuelle, mais transgénérationnelle .Ce qui signifie qu’elle se constitue, à sa base, chez l’enfant de moins de trois ans, par la duplication inconsciente des structures mentales de ses parents. Et, comme celles-ci se sont, elles-mêmes, construites en dupliquant les structures mentales des grands-parents, c’est ce qui explique que les pathologies ancestrales que la psychanalyse transgénérationnelle contemporaine appelle des « fantômes » peuvent se transmettre sur plusieurs générations. Ces structures fantomatiques se transmettent d’une génération à l’autre, et elles parasitent l’une ou l’autre des deux formes archaïques de pensée que sont la pensée en sensations et la pensée en images. https://www.geneasens.com/dictionnaire/transmission?utm
Références
- Heijmans B. T. et al., « Exposition prénatale à la famine et méthylation d’IGF2 », PNAS, 2008.
- Yehuda R. et al., « Holocauste et méthylation de FKBP5 chez parents/enfants », Biol Psychiatry, 2016.
- Cao‑Lei L. et al., « Project Ice Storm : stress prénatal, méthylation et santé à 13 ans », Epigenetics, 2015.
- Dias B. G., Ressler K. J., « Conditionnement olfactif et héritage F1–F2 chez la souris », Nat Neurosci, 2014.
- Rodgers A. B. et al., « Stress paternel, microARN du sperme et axe du stress », J Neurosci, 2013 ; PNAS, 2015.
- Uwizeye G. et al., « Exposition prénatale au génocide & accélération épigénétique », Communications Medicine, 2025.
- Heard E., Martienssen R., « Transgénérationnel : mythes et mécanismes », Cell, 2014 ; Horsthemke B., Nat Commun, 2018.
Commentaires récents