Et si l’histoire de vos ancêtres parlait encore en vous ?

Transmission, symbolique et vigilance clinique

« Le monde est un livre écrit en langage mathématique. » Galilée

Psychogénéalogie : entre transmission, symbolique et vigilance clinique

Imaginez vivre une difficulté qui semble ne pas vous appartenir. Un schéma de vie récurrent, une émotion inexplicable, une peur persistante… Et si ces éléments trouvaient leur origine dans l’histoire de vos aïeux ? La psychogénéalogie propose d’explorer cette hypothèse : celle d’une transmission psychique — et parfois somatique — à travers les générations.

Souvent passionnante, parfois controversée, cette approche conjugue récits cliniques, symbolisme familial et hypothèses transgénérationnelles. Elle s’enracine dans des travaux pionniers d’Anne Ancelin Schützenberger, mais aussi dans ceux de Bruno Clavier, Alice Miller, Carl Gustav Jung et Myriam Brousse (experte en mémoire cellulaire), qui ont chacun apporté un éclairage unique sur ce que l’inconscient familial peut laisser en héritage.

1. Définition et origine

La psychogénéalogie postule que certains événements — traumatismes, secrets, exclusions, loyautés invisibles — peuvent se transmettre de manière inconsciente, façonnant les choix, les blocages ou les symptômes des générations suivantes. Elle ne cherche pas une causalité directe, mais propose une lecture symbolique et narrative de l’arbre familial.

C’est Anne Ancelin Schützenberger qui a introduit l’outil du génosociogramme, cartographie de l’histoire familiale sur plusieurs générations. Elle y identifie des phénomènes de répétition, comme le syndrome d’anniversaire (réapparition de troubles à la même date ou au même âge qu’un ancêtre), ou les loyautés invisibles, qui amènent un descendant à « rester fidèle » à un aïeul, parfois au détriment de lui-même et de la construction de sa propre vie.

2. Concepts-clés

  • Génosociogramme : carte graphique de l’arbre généalogique enrichie de données émotionnelles, événements clés, dates, non-dits. Vous avez envie de commencer un travail par vous-même : téléchargez votre génosociogramme ici. 
  • Syndrome d’anniversaire : répétitions d’événements marquants à dates similaires dans la lignée.
  • Loyautés invisibles : fidélité inconsciente à une dette ou à une souffrance familiale.
  • Fantômes familiaux : traces psychiques de traumatismes non intégrés dans la lignée (notamment développés par Bruno Clavier).
  • Contrats de naissance : engagements inconscients pris à la naissance pour « réparer » l’histoire familiale.
  • Symbolisme jungien : lecture des répétitions par les archétypes et l’inconscient collectif.

3. Méthodologie d’accompagnement : une démarche ancrée, symbolique et supervisée

La psychogénéalogie ne se résume pas à une lecture de l’arbre familial. Elle s’inscrit dans un processus thérapeutique global, qui allie collecte rigoureuse d’informations, mise en sens symbolique, travail émotionnel, et évaluation clinique continue. Voici comment s’articule une démarche sérieuse et structurée :

1. Collecte rigoureuse d’informations

Avant toute hypothèse, il est essentiel de récolter des données concrètes pour chaque personne de la famille :

  • Dates précises : naissances, décès, mariages, fausses couches, accidents, déménagements, ruptures…
  • Événements marquants : traumatismes, guerres, faillites, exils, secrets de famille, adoptions, placements…
  • Liens affectifs : relations fusionnelles, exclus, conflits, tabous, silences ou figures idéalisées

➡Cette collecte peut se faire à partir de documents (livrets de famille, faire-part, archives, actes d’état civil), mais aussi via des récits oraux croisés (interviews, fratries, branches paternelle/maternelle).

2. Analyse des répétitions ou coïncidences significatives

L’arbre généalogique devient un support visuel vivant, souvent sous forme de génosociogramme :

  • Coïncidences de dates : syndrome d’anniversaire (ex. : plusieurs décès autour du même jour ou âge)
  • Réapparition de symptômes : dépression récurrente à un âge donné, somatisation inexpliquée, schéma de rupture ou d’exil
  • Répétitions de rôles ou de trajectoires : même métier que le grand-père sans raison consciente, choix amoureux « à contre-courant », deuils non faits

➡ Ces coïncidences ne sont pas des preuves, mais des indicateurs symboliques qui orientent l’exploration, à manier avec humilité et prudence.

3. Exploration symbolique guidée, en posture d’enquête

Le thérapeute adopte une posture de curiosité ouverte, jamais de déduction automatique :

  • « Qu’est-ce que cela évoque pour vous ? »
  • « Pensez-vous que ce schéma a pu influencer vos choix, sans que vous en soyez conscient(e) ? »
  • « Où sentez-vous cela dans votre corps ? »

➡ Cette phase peut inclure la lecture de rêves, l’analyse d’un mythe familial, la confrontation aux non-dits, ou l’identification de figures porteuses (boucs émissaires, héros familiaux, oubliés…).

4. Travail clinique complémentaire

Selon l’accompagnement proposé et la sensibilité du thérapeute, différents outils peuvent soutenir l’intégration :

  • Écriture thérapeutique : lettres à un ancêtre, récits de réparation, mise en mots des émotions
  • Constellations familiales (si encadrées et supervisées) : externalisation symbolique des loyautés ou conflits invisibles
  • Rituels de reconnaissance ou de libération : poser une photo, allumer une bougie, formuler une phrase de séparation ou de gratitude
  • Approche corporelle (inspirée de la mémoire cellulaire et de la psycho-neuro-immunologie) :
    • descente dans le corps (sensations fines, points de tension)
    • visualisations guidées d’ancrage ou de protection
    • exercices de cohérence cardiaque, respiration consciente, toucher conscient

➡ Ces pratiques visent à réintégrer le vécu dans une conscience incarnée, et à permettre une transformation émotionnelle en profondeur.

5. Évaluation continue du bien-être psychique et somatique

Une démarche sérieuse implique des points de régulation réguliers :

  • Échelle de stress et de bien-être émotionnel : avant/après séance
  • Évaluation de la charge émotionnelle induite par l’exploration transgénérationnelle
  • Feedback verbal ou écrit sur les prises de conscience, les changements observés ou les résistances

➡ En cas de stagnation, d’aggravation ou de surcharge émotionnelle, le praticien réajuste la démarche ou propose un basculement vers une approche complémentaire (EMDR, TCC, thérapie des schémas, psychotrauma…).

Certaines approches intègrent le corps comme mémoire vivante, à l’instar de Myriam Brousse, qui relie mémoire cellulaire, sensations et histoire familiale.

4. Apports et limites

Bénéfices possibles :

  • Nouvelle grille de lecture pour comprendre des blocages persistants
  • Sentiment de sens et de continuité dans l’histoire familiale
  • Allègement émotionnel par le symbolique ou le corporel

Limites et précautions :

  • Faible validation scientifique à ce jour
  • Risques de biais de confirmation
  • Possibilité de construction de faux souvenirs ou de culpabilité déplacée
  • Risque de confusion entre symbolique et causalité réelle                                                                                                                                                                                                                                                       

5. Vers une pratique responsable

Pour que cette approche reste un levier d’ouverture — et non une impasse projective —, quelques principes fondamentaux s’imposent :

  • Consentement éclairé : expliquer les hypothèses, les bénéfices potentiels et les limites
  • Supervision clinique régulière
  • Intégration à des méthodes validées : TCC, EMDR, thérapie des schémas…
  • Évaluation mesurable : outils de suivi, questionnaires de stress ou de bien-être
  • Formation continue et pluridisciplinarité : psycho-neuro-immunologie, mémoire cellulaire, psychotraumatologie, etc.

À noter : si certaines recherches en épigénétique suggèrent que des stress sévères (famine, violences extrêmes) pourraient laisser des traces sur la descendance, aucune preuve directe ne démontre à ce jour une transmission psychologique précise de traumatismes familiaux. Prudence, donc, dans l’usage thérapeutique de ces concepts.

6. Ressources inspirantes

  • Bruno Clavier
    • Les fantômes familiaux (Payot, 2013)
      Psychanalyste, il explore l’inconscient transgénérationnel et les transmissions silencieuses. Il enseigne également au sein du Jardin d’idées, avec une approche mêlant rigueur clinique et symbolisme familial.
  • Alice Miller
    • Le drame de l’enfant doué (Poche, 2008)
    • C’est pour ton bien (Poche, 2012)
      Psychologue et psychanalyste, elle a mis en lumière l’impact des violences éducatives ordinaires et des traumatismes précoces sur la vie adulte. Son travail éclaire la transmission indirecte des blessures d’enfance.
  • Anne Ancelin Schützenberger
    • Aïe, mes aïeux ! (Desclée de Brouwer, 1993)
    • Psychogénéalogie (Éd. revue, 2012)
      Fondatrice de la psychogénéalogie moderne, elle a introduit le génosociogramme, le syndrome d’anniversaireet les loyautés familiales invisibles.
  • Carl Gustav Jung
    • L’homme à la découverte de son âme
    • Les archétypes et l’inconscient collectif
      Fondateur de la psychologie analytique, ses concepts d’archétypes, d’inconscient collectif et de synchronicitésont souvent mobilisés pour éclairer la résonance symbolique de certains schémas familiaux.
  • Myriam Brousse
    • Votre corps a une mémoire (Eyrolles, 2019)
      Pionnière de l’exploration somatique des mémoires, elle propose d’écouter les traces corporelles des expériences anciennes. Sa méthode repose sur la descente dans le corps, l’exploration sensorielle et la mise en mots progressive.

7. Outils à télécharger

  • Généosociogramme vierge 
  • Checklist de vigilance thérapeutique : ici 
  • Exercices d’exploration somatique (inspirés de Myriam Brousse) : ici

Conclusion

La psychogénéalogie offre un cadre symbolique puissant pour revisiter notre histoire familiale, à condition d’être utilisée comme un outil d’exploration et non comme un système d’explication totalisant. Elle gagne à être intégrée dans un parcours thérapeutique global, articulé à des méthodes validées, sous supervision et avec une vigilance constante quant à ses effets.

Et vous ?

Avez-vous déjà ressenti l’empreinte de votre histoire familiale dans votre vie actuelle ? Que pensez-vous de cette exploration transgénérationnelle ?

Commentaires récents
Retour en haut